MORPHOMETRIE DE L'ARRIERE-PIED ET ARTHROSCOPIE TALO-CRURALE. CONTRAINTES TECHNIQUES, BENEFICES DIAGNOSTIQUES ET THERAPEUTIQUES.

Eric HAMMEL, Igor BENEZIS

Centre Hospitalier de Pau, Service d'Orthopédie Traumatologie

 

L'articulation talo-crurale est une trochléenne parfaitement emboîtée. La taille du matériel arthroscopique impose d'ouvrir cette articulation pour la voir et y travailler. Un examen attentif des différentes publications et surtout de leurs illustrations révèle des pratiques très variables.

 

Du point de vue biomécanique, une distraction articulaire peut-être rapportée, schématiquement, à l'application d'une force (F en newton) sur un ressort dont la rigidité (k en N/m) permet un certain allongement (x en mètres). La relation physique est x = F/k.

 

Quel mode de traction ?

Les opérateurs ont recours à une traction mono-articulaire (entre tibia et talus) ou bi-articulaire (entre tibia et talus) ou bi-articulaire (entre tibia et calcaneus).

La distraction mono-articulaire n'est possible qu'avec un matériel spécial, fixateur ou distracteur spécifique (avec dynamomètre). La pose d'une fiche de traction dans le talus impose une visée soigneuse (au mieux avec amplificateur) en raison des risques de lésion iatrogène de la sous talienne.

La distraction bi-articulaire s'applique sur le calcaneus et sollicite donc deux articulations : talo-crurale et sous talienne. Biomécaniquement, cette procédure réalise un montage comportant deux ressorts, de rigidité k et k', montés en série ; ce qui est l'équivalent d'un montage avec un seul ressort de rigidité plus grande (k+k'). La distraction est inversement proportionnelle au produit des deux rigidités, selon la loi physique : x = F. (k+k')/kk'. L'allongement étant inversement proportionnel à la résistance des articulations, il faut donc exercer une force plus importante pour obtenir au moins 5 à 6 mm de distraction dans la talo-crurale. Or il est connu qu'au delà d'une force de 135 N, les complications apparaissent : fractures, complications nerveuses par étirement.

 

Quel point d'application de la traction ?

Pour la flexion/extension de la talo-crurale, le modèle d'Inman, avec un axe passant par la pointe des deux malléoles, reste tout à fait valable en pratique courante. Sur le profil, l'ensemble des centres de rotations d'une cheville saine passe par un point proche du centre du talus.

L'application d'une force (F en newton) à distance (d en mètres) d'un axe de rotation crée un moment (en m/N).

L'intensité de ce moment, qui génère une rotation, répond à la loi physique : M = d.F (en m/n). Il suffit donc que la force de traction soit décalée en arrière de l'axe de Inman pour imposer une dorsiflexion qui ferme en avant l'articulation talo-crurale. En revanche, s'il la force de distraction s'applique à l'aplomb du centre de rotation, la distance d égale zéro. Si d = 0, le moment de rotation M = d.F devient nul : il n'y a pas de tendance à la dorsiflexion.

 

En pratique, la distraction mono-articulaire impose d'être à l'aplomb du tibia. Les sangles de Yates ont une résultante qui peut avoir schématiquement le même effet. En revanche, si l'on utilise une traction transcalcanéenne sur table orthopédique ou un distracteur tibio-calcanéen, il faut veiller à ce que le positionnement de la broche soit nettement plus antérieur que ce dont on a l'habitude pour les installations traumatologiques.

 

Quel devenir dans le plan frontal de la talo-crurale en distraction ?

La distraction s'applique sur les deux ligaments, médial et latéral. Ces ligaments, d'épaisseur différente, ont une résistance différente : forte pour le ligament médial, faible pour le ligament latéral. Pendant la distraction, c'est donc le versant latéral de la talo-crurale qui s'ouvre le plus.

Malgré l'entraînement des équipes expérimentées, malgré des procédures de pénétration articulaire très codifiées, les complications neurologiques représentent 49 % des complications des arthroscopies de cheville.

Même si Ferkel et Gühl les attribuent à des blessures directes, la question de la responsabilité de la distraction latérale reste posée. En effet, les nerfs latéraux (fibulaire superficiel et sural) sont statistiquement les plus touchés. Cette constatation est à confronter aux publications faisant état de lésions neurologiques après les entorses de cheville en varus et en inversion.

 

Quel devenir dans le plan sagittal de la talo-crurale en distraction ?

Pour visualiser le 1/3 postérieur du dôme talien, et le rideau capsulo-ligamentaire postérieur, il faut imprimer une flexion plantaire. Même avec l'arthroscope à angle de vision 30°, tous les éléments anatomiques peuvent être vus (sauf la queue du talus). La mobilisation talo-crurale doit donc être possible en per opératoire. Si la force de distraction est appliquée à l'aplomb du tibia, l'articulation reste ouverte de façon régulière et homogène.

 

Quelle approche pour les frappes chirurgicales ?

Pour la plupart des gestes thérapeutiques, les instruments sont tangentiels au dôme talien et au plafond tibial. On peut ainsi s'attaquer aux corps étrangers, à la synoviale, aux cicatrices hypertrophiques et aux brides intra-articulaires. Dans ces cas, les opérateurs prennent la tangente ...

La seule exception concerne les lésions ostéo-chondrales du dôme (L.O.D.T.). Seules les lésions très antérieures sont directement accessibles. La plupart des ostéo-nécroses, postéro-médiales, doivent être curetées et perforées. La voie trans-malléolaire médiale peut permettre, dans certains cas, d'en rester à une intervention arthroscopique sans passer l'ostéotomie malléolaire. Ainsi, les opérateurs peuvent attaquer "en piqué".

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BLAIMONT P, LIBOTTE M, KLEIN P - Biomécanique de la tibio-tarsienne, implication cliniques - Cahiers d'enseignement de la SOFCOT, 1986, 26, Exp. Scient. Franç. Ed.

BUCKINGHAM RA, WINSON IG, KELLY AJ - Anatomical study of a new portal for ankle arthroscopie - J. Bone Joint Surg. 1997, 79B, 650-652.

CHAUVEAUX D, HAMMEL E, BONNIN M - L'arthroscopie de cheville - Pathologie ostéo-articulaire du pied et de la cheville, approche médico-chirurgicale - Maurice BOUYSSET - Ed Springer, 2000, 83-89.

CHAUVEAUX D - L'arthroscopie de cheville : impératifs techniques et apports diagnostiques - Med. Chir. Pied, 1993, 9, 63-70.

FERKEL RD, SCRANTON PE - Arthroscopy of the ankle and foot - J. Bone Joint Surg. 1993, 75A, 1233-1242.

FERKEL RD, HEATH DD, GUHL JF - Neurological complications of ankle arthroscopy - Arthroscopy 1996 Apr;12(2) : 200-208.

FRANK A, COHEN P, BEAUFILS PH, LAMARE JP - Traitement arthroscopie des lésions ostéo-chondrales du dôme astragalien. Rev. Chir. Orthop. 1988, 74, 233-237.

GERARD Y, BERNIER Jean-Marc, AMEIL M - Lésions ostéochondrales de la poulie astragalienne - Rev. Chir. Orthop. 1980, 75, 466-478.

GUHL JF - New concept (distraction) in ankle arthroscopy - Arthroscopy, 1988, 4, 160-167.

KELBERINE F, CHRISTEL P - L'arthroscopie de cheville, symposium de la Société Française d'Arthroscopie - Annales de la S.F.A., vol 1988, 77-130.

LAFFENETRE O, CHAUVEAUX D - L'arthroscopie de cheville : technique et tactique - Med. Chir. Pied 15, 1999, 1, 25-31.

LOREIL MP, HERSHMAN EB - Peripheral nerve injuries in athletes. Treatment and prevention - Sports Med. 1993 Aug : 16(2) : 130-47.

LUNDBERG A, SVENSSON OK, NEMETH G, SELVIK G - The axis of rotation of the ankle joint - J. Bone Joint Surg. 1989, 71B, 94-99.